L. Mottu-Weber u.a. (Hrsg): Genève française 1798–1813

Titel
Genève française 1798–1813. Nouvelles approches. Actes du colloque tenu du 12 au 14 novembre 1998


Herausgeber
Mottu-Weber, Liliane; Joëlle Droux
Reihe
Mémoires et Documents 62
Erschienen
Genève 2004: Société d’Histoire et d’Archéologie de Genève
Anzahl Seiten
454 p.
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Alain-Jacques Tornare

Il y aurait une étude à faire sur le destin tragique des grands projets liés au bicentenaire de la Révolution helvétique en 1998. Tant de projets avortés faute de moyens financiers, sans compter les colloques effectivement organisés mais dont les actes n’ont jamais pu paraître comme ce fut le cas à l’Université de Fribourg avec le colloque international sur le thème: «Libération ou invasion? La Révolution et la Suisse en 1798. Réflexions critiques et méthodologiques d’historiographie ». Longtemps, nous avons pensé que celui qui avait réuni une trentaine d’historiens européens à l’Université de Genève du 12 au 14 novembre 1998, autour de la problématique: «Genève française 1798–1813. Nouvelles approches» avait subi le même sort. Heureusement, la détermination des éditrices a eu raison de tous les obstacles rencontrés.

On pouvait craindre que des communications présentées au siècle dernier et parues sept ans plus tard aient perdu entre-temps de leur pertinence, mais tel n’est pas le cas pour la plupart des seize textes publiés ici. On se demande pourtant où sont passées plusieurs communications dont certaines sont mêmes signalées et résumées dans l’«Essai de synthèse» de Catherine Santschi qui égrène dans ses notes plusieurs travaux «malheureusement pas publiés» selon la formule consacrée, tels la conférence inaugurale de Stuart J. Woolf, auteur pourtant souvent cité dans l’ouvrage, l’exposé du professeur Jean-Clément Martin, le rapport de J.-D. Candaux sur «le maintien de l’imprimerie genevoise», les communications de René Sigrist sur «la science à Genève pendant la période française», de Danielle Buyssens sur «un nouveau bilan en matière artistique de la Genève française», de Daniela Vaj sur l’agronome genevois Lullin de Châteauvieux ou d’Alain Zogmal sur «Genève et l’invention du parlementarisme rationnel français». On regrette également l’absence de regards helvétiques sur la Genève française, même si fort heureusement Jonas Römer nous présente une stimulante analyse des projets de réorganisation territoriale du bassin lémanique avant et pendant l’annexion de Genève à la France qui en disent long sur les atermoiements de la politique française à l’égard du Corps helvétique, lesquels trahissent l’absence d’un véritable projet global de redéfinition de la Suisse, tel que celui attribué abusivement à Napoléon Bonaparte avant 1798. Incidemment, J. Römer nous apprend que le terme «Suisse romande» est utilisé par Philippe Secrétan dès mars 1798 (cf. p. 171) et qu’il y eu en réalité trois et non un seul projet d’organisation territoriale: les deux projets de Desportes et celui de Brune. Ce chercheur s’en tient à l’année 1798, mais d’autres velléités d’intégration de l’espace lémanique se sont faits jour par la suite comme la tentative de Jomini d’avril 1804 d’intégrer son pays à la France. Les articles de quelques historiennes et historiens genevois incontournables de notre temps font ici cruellement défaut comme Corinne Walker qui était partie à la recherche d’un «esprit public» à partir des fêtes, révolutionnaires ou non, ou Eric Golay dont on attendait «les circonstances de la réunion de Genève à la France». L’Archiviste du canton de Genève reconnaît que «le colloque a renoncé à s’intéresser aussi aux Suisses à l’époque du département du Léman» (p. 353) et on peut d’autant plus le regretter que figurent ici quelques passionnantes communications n’ayant guère de lien avec le thème traité. C’est le cas ainsi pour 71 des 181 pages que compte la première et principale partie intitulée: «Genève française. Une mémoire difficile à constituer» qui nous entraînent à Neuchâtel, dans les départements belges, hollandais, rhénans et jusque dans les provinces illyriennes. Une étude comparative avec par exemple Mulhouse nous aurait semblé ici beaucoup plus pertinente. Dans le même ordre d’idées, la partie économique nous emmène voir un exemple d’implantation genevoise en Ukraine et une délocalisation d’une manufacture genevoise d’horlogerie qui se situe avant la période étudiée dans l’ouvrage. Tout cela ferait désordre n’étaient ces travaux d’historiennes hors pairs qui nous donnent ici le meilleur de leurs recherches. Barbara Troth-Lochner passe en revue et analyse les sources de l’histoire genevoise du temps de son appartenance à la France. Irène Herrmann nous montre avec une efficacité redoutable l’utilisation et la diabolisation de la période française dans le discours politique genevois de la Restauration. Sa communication est qualifiée à juste titre dans la synthèse d’un «reflet parmi tant d’autres des études très approfondies de cette historienne sur la formation de l’helvétisme genevois au cours de la Restauration» (p. 242). A voir le vocabulaire utilisé par Irène Hermann, force est de constater que l’on retrouve dans nombre d’historiographies cantonales les mêmes caractéristiques: importantes zones d’ombre, tendance à l’occultation, «intrigante tradition de silence» (p. 59), rares monographies sur le sujet, «véritable entreprise de diabolisation» (p. 72) de la période perçue comme une parenthèse que l’on soit à Genève, Neuchâtel ou Fribourg, manipulation et exagération à tous les étages de l’historiographie officielle jusqu’au Xxe siècle. Même s’il n’est pas encore possible de parler d’un réel retournement de perspective, l’on assiste de nos jours à une tentative de basculement des représentations historiques, en ce qui concerne la période allant de 1798 à 1815, laquelle témoigne à contrario de la nécessité pour les Suisses d’aujourd’hui de prendre leur destin en mains s’ils ne veulent pas que des puissances environnantes bien intentionnées n’arrangent leurs affaires à leur convenance. Ce travail montre d’ailleurs que Genève ressemble à la Suisse tant en ce qui concernent les approches historiographiques que des études comportementales durant le temps de la domination française.

La 2e partie de l’ouvrage pose une question fondamentale: «Economie et société dans la Genève française. Rupture ou continuité?». On serait tenté de répondre: continuité dans la rupture, même si Alfred Perrenoud nous démontre chiffres à l’appui que l’annexion à la France s’accompagne d’une chute sans précédent de la natalité qui semble trahir un désarroi à plusieurs niveaux. Liliane Mottu-Weber présente un bilan encore provisoire, compte tenu de l’abondance des sources, de l’économie genevoise après l’annexion. Il en ressort une économie oscillant «entre marasme et inventivité», où seule l’industrie du coton profite de l’élargissement de l’espace économique genevois. Alors que la période française est d’ordinaire unanimement décrite sur le plan économique comme une période particulièrement sombre, l’auteure suggère que bien des choix d’orientations économiques appliquées unilatéralement à la Genève française lui sont sans doute an térieurs, comme le fait de privilégier la Fabrique au détriment de l’indiennage par exemple (p. 220).

La 3e partie intitulée «Résistance ou accommodement?» est la plus inégale de l’ouvrage. Certains textes sentent l’inachevé comme celui de Cyprian Blamires qui nous présente, en s’appuyant essentiellement sur les papiers Dumont de la BPU de Genève, un pasteur genevois passant tour à tour du mépris à l’admiration envers la France, mais fondamentalement attaché à l’Angleterre, en oubliant de tenir compte du fait que Dumont dans le sillage de Du Roveray était probablement salarié et employé par le gouvernement anglais (voir les travaux d’Olivier Blanc sur la question). Bruno Dumons qui nous parle ici de manière fort instructive des élites genevoises décorées de la Légion d’honneur, nous gratifie d’une digression historiographique (p. 294–297 et 308–309) qui aurait plutôt trouvé sa place dans la première partie. De plus, il ne distingue pas clairement ceux qui ont été décorés sous l’Empire et ceux qui comme Victor Constant de Rebecque se sont toujours refusé à servir Napoléon (p. 300–301) et qui ne devraient logiquement pas figurer ici. «Plus finement», remarque dans sa conclusion Catherine Santschi, les études prosopographiques présentées par Anja-Victorine Hartmann «sur le personnel politique du département, en particulier de la ville de Genève, constituent un apport essentiel à la compréhension de la période» (p. 350). Il y apparaît clairement que les familles puissantes de l’Ancien Régime arrivèrent «à conserver leur influence dans le champ politique durant les années françaises». Tous ces travaux montrent que la France absorbe des territoires qu’elle n’intègre pas réellement. Et le mérite de cet ouvrage collectif est bien de nous montrer que si la France introduit des nouveautés administratives et juridiques, elle s’abstient de bousculer en profondeur les structures et les élites que ce soit à Neuchâtel étudiées ici par Philippe Henry ou en Dalmatie et à Genève, où l’autorité centrale compose avec la pragmatique Eglise genevoise analysée par Olivier Fatio, tandis que les élites du bout du lac appréhendées par Bruno Dumons et Anja Victorine Hartmann se comportent durant la même période grosso modo comme celles des cantons suisses.

Le colloque de 1998 avait rompu le silence assourdissant des historiens: «tout est désormais à faire» peut-on lire p. 342. Cet ouvrage se veut un point de départ en vue de l’ouverture de nouveaux chantiers de recherches. A quand une étude en profondeur de la Société économique dont les recherches d’Olivier Fatio et de Anja-Victorine Hartmann nous font augurer tout l’intérêt? A quand la restitution de la politique britannique à l’égard de Genève et de la Suisse au tournant du XIXe siècle? Quand disposerons-nous d’une étude sur la banque genevoise à cette époque?

A saluer pour finir, qu’une fois n’est pas coutume, la participation féminine est majoritaire au sein des Actes de ce colloque, tant du point de vue quantitatif que qualitatif d’ailleurs. Deux éditrices ont mené à bien cette oeuvre qui d’un bout (introduction) à l’autre (synthèse) a laissé le premier et le dernier mot à une historienne.

Citation:
Alain-Jacques Tornare: Compte rendu de: Liliane Mottu-Weber, Joëlle Droux (éditrices): Genève française 1798–1813. Nouvelles approches. Actes du colloque tenu du 12 au 14 novembre 1998. Genève, Société d’Histoire et d’Archéologie de Genève (Mémoires et Documents, tome 62), 2004. Première publication dans: Revue suisse d’histoire, Vol. 56 Nr. 2, 2006, S. 214-216.

Redaktion
Veröffentlicht am
09.12.2011
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Die Rezension ist hervorgegangen aus der Kooperation mit infoclio.ch (Redaktionelle Betreuung: Eliane Kurmann und Philippe Rogger). http://www.infoclio.ch/
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